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Résistances et Libertés
21 janvier 2021

Entre soi, copinage, conflits d’intérêt: la haute administration française en question

entre soi

 

Le terme d’État profond est-il pertinent dans le contexte politique français? Dans son livre Les inamovibles de la République, Chloé Morin, ancienne conseillère à Matignon et spécialiste de l’opinion, lève le voile sur les pratiques et les prérogatives de la haute administration française. Une élite dont le poids politique est souvent sous-estimé.

D’où provient l’expression d’État profond, très vite associée aux tenants des théories conspirationnistes lorsqu’il est question de savoir qui gouverne réellement?

Dans un entretien donné à L’Opinion en juillet dernier, le sociologue Gérald Bronner définissait ainsi le concept d’État profond comme «l’idée que le pouvoir démocratique serait illusoire et que les vrais cordons du pouvoir seraient tirés par des groupes plus ou moins secrets, dont l’action serait secrète, comme le complexe militaro-industriel, les services de renseignement, la franc-maçonnerie, les juifs, les Illuminati, ou toutes sortes de groupes qui n’ont pas de légitimité politique».

Le terme a pourtant été repris par… Emmanuel Macron lui-même. La scène se déroule le 27 août 2019, devant les diplomates français conviés à l’Élysée pour la traditionnelle conférence des ambassadeurs et des ambassadrices. Devant un parterre de hauts fonctionnaires bien mis et policés, le chef de l’État a alors dénoncé l’existence d’un «État profond» au sein du Quai d’Orsay.

«Nous avons, nous aussi, un État profond. Et donc, parfois, le Président de la République dit des choses, et puis la tendance collective pourrait être de dire: "Il a dit ça, mais enfin nous on connaît la vérité, on va continuer comme on a toujours fait"», reconnaissait alors Emmanuel Macron.

«Deep state» aux États-Unis

Si la locution trouve son origine dans la Turquie des années 1970 dans un contexte de luttes de pouvoir entre l’élite militaro-laïque (dont le Derin devlet, «État profond» en turc, est le bras armé) et les groupes séparatistes (PKK ou groupuscules d’extrême gauche), le concept a notamment refait surface au moment de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, fin 2016.

Repris outre-Atlantique sous l’appellatif de deep state, il désigne, du moins si l’on en croit les partisans du Président sortant, l’ensemble des contre-pouvoirs réels ou supposés qui auraient contrarié la présidence de l’ancien magnat de l’immobilier. Pour les plus conspirationnistes, parmi lesquels les adeptes de la mouvance QAnon par exemple, le fonctionnement du deep state voudrait que les milieux financiers, le camp démocrate, les médias ou encore Hollywood soient peuplés secrètement de pédocriminels sataniques, lesquels mèneraient une guerre clandestine contre Donald Trump.

 

Les plus modérés postulent quant à eux que «l’État profond n’est pas une sorte de concept conspirationniste comme les auteurs réactionnaires l’allèguent souvent, mais une autre façon de désigner les bureaucraties permanentes militaires, du renseignement et de la diplomatie de n’importe quelle nation».

«Copinage» et «esprit de corps»

En France, où le poids de la bureaucratie est très fort, l’État profond, sans tomber dans les travers conspirationnistes, serait plutôt à chercher du côté de la haute administration. Pour une raison toute simple: les hauts fonctionnaires français ont une garantie d’emploi à vie et résistent par conséquent au jeu démocratique de l’alternance politique, explique au micro de Sputnik Chloé Morin, conseillère à Matignon de 2012 à 2016 et auteur de Les inamovibles de la République: vous ne les verrez jamais, mais ils gouvernent (Ed. de l’Aube):

«À la différence des hommes politiques qu’on peut "virer" à chaque élection si on considère qu’ils n’ont pas rempli leur contrat, les hauts fonctionnaires restent souvent dans les mêmes postes, qu’ils aient mérité ou qu’ils aient démérité.»

Les hauts fonctionnaires constituent de fait l’élite administrative de la nation. Formés à l’École nationale d’administration (ENA) pour la plupart, parfois à l’École polytechnique ou dans des Écoles nationales plus spécialisées (EHESP en Santé publique, ENM pour la magistrature, etc.), ils sont naturellement amenés à gouverner ou à administrer l’État français sous toutes ses coutures.

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