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Résistances et Libertés
6 juin 2021

Dictature de la minorité : pourquoi les plus intolérants gagnent

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De la dictature de la minorité : pourquoi les plus intolérants gagnent

La situation suivante est le meilleur exemple que je connaisse pour expliquer le fonctionnement d’un système complexe : il suffit qu’une minorité intransigeante, un certain type de minorité intransigeante, atteigne un niveau de l’ordre de trois ou quatre pourcent de la population totale pour que l’ensemble de la population se soumette à ses préférences. De plus, la domination de la minorité bénéficie d’une illusion d’optique : un observateur naïf a l’impression que les choix et les préférences sont ceux de la majorité. Si cela semble absurde, c’est parce que nos intuitions scientifiques ne sont pas calibrées pour ça  (oubliez les intuitions scientifiques et universitaires et les jugements à l’emporte-pièce; cela ne marche pas et les raisonnements standards échouent à comprendre les systèmes complexes, ce n’est en revanche pas le cas de la sagesse de grand-mère).

L’idée principale qui sous-tend les systèmes complexes est que l’ensemble se comporte d’une façon qui ne peut être prédite à partir de l’analyse des parties. Les interactions sont plus importantes que la nature des éléments eux-mêmes. L’analyse d’une fourmi ne permettra jamais (dans ce genre de situation, on peut dire « jamais » sans risque), de comprendre comment fonctionne la fourmilière.

Pour cela, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de la fourmilière en tant que fourmilière, pas plus, pas moins et pas en tant que groupe de fourmis. Cela s’appelle une propriété « émergente » de l’ensemble où la partie et le tout diffèrent car ce qui compte ce sont les interactions entre les parties. Et les interactions peuvent obéir à des règles très simples. La règle que nous allons étudier dans ce chapitre est la règle de la minorité.

La règle de la minorité va nous montrer comment un petit groupe de gens intolérants et vertueux avec du skin in the game, sous la forme de courage, suffit pour faire fonctionner correctement la société.

De façon ironique, l’exemple de cette complexité me frappa alors que je participais à un barbecue organisé par l’institut des systèmes complexes de Nouvelle-Angleterre. Tandis que les hôtes dressaient la table et sortaient les boissons de leurs emballages, un ami pratiquant et ne mangeant que kasher passa nous dire bonjour. Je lui offris un verre de cette eau  jaune et sucrée parfumée à l’acide citrique que les gens appellent parfois de la limonade, certain qu’il allait le refuser au nom de ses prescriptions alimentaires. Il ne le fit pas. Il but le liquide appelé « limonade » et une autre personne mangeant kasher fit remarquer qu’ici « les liquides étaient kasher ». Nous regardâmes l’emballage de la boisson.  En tout petit caractère, on pouvait voir un « U »à l’intérieur d’un cercle indiquant que la boisson était kasher. Ce symbole sera détecté par ceux qui ont besoin de savoir et qui savent où le trouver. Quant à tous les autres qui, comme moi, avaient parlé en prose pendant des années  sans le savoir, ils avaient bu kasher sans savoir que c’était kasher.

Une étrange idée me frappa. La population qui mange kasher représente moins de trois dixième de pourcent des résidents des États-Unis d’Amérique. Pourtant, il semble que presque toutes les boissons sont kasher. Pourquoi ? Parce que passer au kasher permet au producteur, à l’épicier, au  restaurant, de ne pas distinguer entre kasher et non-kasher pour les liquides et ainsi éviter un marquage particulier, des rayons dédiés, un inventaire spécifique et différents entrepôts de stockage. Et cette simple règle qui va changer complètement le total est la suivante :

Quelqu’un qui mange kasher (ou halal) ne mangera jamais de la nourriture non-kasher (ou non-halal) mais il est permis à quelqu’un qui ne mange pas kasher de manger kasher.

[…]

Appelons une telle minorité le groupe intransigeant et la majorité le groupe, flexible.

Et la règle est l’asymétrie dans les choix.

[…]

Deux autres choses. Premièrement, la géographie du terrain, c’est-à-dire la structure spatiale a son importance.   La situation n’est pas du tout la même si les intransigeants vivent dans leur propre quartier ou s’ils sont mélangés au reste de la population. Si les gens qui suivent la règle minoritaire vivent dans des ghettos avec leur économie séparée, dans ce cas la règle minoritaire ne  s’applique pas.  Mais si la population est distribuée spatialement de façon égale, disons que le ratio de cette minorité dans le quartier est le même que celui dans le village, que celui du village est le même que celui dans le département, que celui du département est le même que celui de la région et que celui de la région est le même que celui du pays alors la majorité (flexible) devra se soumettre à la règle de la minorité.

[…]

Considérons à présent cette manifestation de la dictature de la minorité.

Au Royaume-Uni, où la population musulmane (pratiquante)  représente entre 3 et 4% de la population,  une proportion élevée de la viande est halal. Près de 70% des exportations d’agneau de Nouvelle-Zélande sont halal. Près de 10% des enseignes de la chaîne Subway sont uniquement halal, c’est-à-dire qu’ils ne vendent pas de porc et cela malgré les pertes enregistrées par ces magasins. La même logique est à l’œuvre en Afrique du Sud où, en dépit d’une proportion similaire de musulmans, un nombre disproportionnellement élevé du poulet produit est halal.

[…]

Par conséquent, la règle de minorité peut produire une proportion de produits halal dans les commerces plus importante que celle des consommateurs de halal dans la population.

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