Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Résistances et Libertés
24 mai 2021

Les «gangs de poussettes» écument l’Ile-de-France : près de 3500 vols depuis 2016

C’est un butin qui trouve facilement preneur, notamment sur les sites d’occasion. Rien qu’en 2020, malgré la fermeture des crèches, la préfecture de police a dénombré 594 vols de poussettes à Paris et en petite couronne et incite à poser des antivols. Parmi les modèles les plus ciblés, Yoyo et Bugaboo.

poussettes

 

Paris (XIXe), rue Botzaris, vendredi 21 mai 2021. Chaque parent du quartier a entendu parler des gangs qui écument les crèches et cages d'escalier pour voler les poussettes Yoyo. LP/Olivier Arandel 

« Jamais je n’aurais pensé qu’on pouvait voler la poussette de mon bébé. » Un jour de 2018, ce qu’Aude, une maman parisienne du XIe n’avait pas imaginé est hélas devenu réalité. Une porte défaillante du local à poussettes de la crèche la Maison bleue où était gardé son fils, un code qui n’avait pas été changé depuis longtemps et adieu la Yoyo, la poussette la plus répandue dans les rues de Paris.

Ce jour-là, deux Yoyo ont été dérobées dans cette crèche obligeant les petits à rentrer à la maison dans les bras de leurs parents. Montant du préjudice pour Aude, 389 euros, pas couverts par les assurances et qu’elle n’a pas récupérés malgré sa plainte, ses discussions avec les médiateurs de la Ville de Paris, et ses échanges de mails avec la direction de la crèche.

Paris intra-muros, triangle des Bermudes

Dans un document à destination des parents, la Ville de Paris précise « que leur assurance souscrite ne couvre en aucun cas les biens matériels : sa responsabilité n’est pas engagée en cas de perte, vol ou détérioration d’effets personnels (notamment de vêtements, de poussettes, de jouets, de bijoux… ). Concernant les poussettes, les familles sont invitées à prendre les mesures nécessaires pour prévenir les vols (cadenas, antivols). »

Les «gangs de poussettes» écument l’Ile-de-France : près de 3500 vols depuis 2016

Le cas d’Aude n’est pas isolé. Et dans la capitale ces mésaventures se multiplient. Au cours de la même année 2018 à Paris et en petite couronne, ce sont 716 poussettes qui ont été dérobées dont 406 dans la capitale soit une hausse de 41,96 % par rapport à 2017. La pire année pour les parents est 2019 avec 773 vols de poussettes dont 412 à Paris.

«Cela coûte cher, ça se revend très facilement»

L’année 2020, avec la fermeture des crèches à cause de la pandémie de Covid-19, n’est pas représentative. Sur l’ensemble de Paris petite couronne, on a dénombré 594 vols de poussettes, un chiffre tout de même bien au-dessus de 538 vols de 2016. Paris intra-muros reste de loin le triangle des Bermudes des poussettes. Pour quelle raison ? « C’est là où il y a la plus grosse concentration de familles. Ces biens coûtent cher et se revendent très facilement sur les sites d’occasion. Les gens ne vont pas penser acheter un antivol pour protéger leur poussette alors qu’ils le font pour un vélo qui va coûter le même prix », constate une source policière.

Ce genre de vols est également courant en petite couronne comme à Suresnes (Hauts-de-Seine), où fin avril, deux Yoyo dont une était attachée grâce à un antivol ont disparu d’une crèche interentreprises. Cela fait partie des 71 vols recensés dans les Hauts-de-Seine depuis le début de l’année. Les parents ont déposé plainte.

17 poussettes volées en un jour dans la même crèche

Plus que des vols d’opportunité, Yoyo et Bugaboo sont ciblées par des voleurs organisés. Dans le XIe, les parents parlent entre eux du « gang des poussettes ». Ceux du XIXe du « gang des Yoyo ». Sonia, une maman qui vit dans ce dernier arrondissement en a entendu parler la première fois lors de son rendez-vous à la crèche. « On m’a tout de suite informée qu’il y avait des vols dans l’arrondissement, qu’il y avait le gang des Yoyo et qu’il fallait faire attention, l’attacher avec un antivol. J’en ai acheté un. Au début, je le mettais mais la vie parisienne a fait que je ne prends plus le temps ».



Les familles du XIXe restent marquées par une cette journée de juin 2019 au cours de laquelle 17 poussettes ont disparu en une seule fois de la crèche Les p’tits Gailhard de la fondation Croix Saint-Simon face au parc des Buttes-Chaumont, rue Botzaris. Le butin : exclusivement des Yoyo. Pourtant l’établissement privé est caché derrière des claustras marron et une porte grillagée qui se déverrouille avec un code et qu’il faut franchir avant d’accéder au local à poussettes, sur la gauche. L’ambassade de Tunisie est toute proche et la zone est couverte par des caméras. Tout comme la crèche qui possède une vidéosurveillance. Cela n’a pas empêché les malfaiteurs d’agir à l’heure de la sieste. Les parents ont déposé une plainte collective. Selon Julia, une maman, « c’était la troisième fois qu’il y avait des vols de poussettes dans cette crèche ». Elle poursuit : « On n’a jamais eu de suites après cette plainte mais la crèche a remboursé tous les parents ».

«Émotionnellement, même pour l’enfant, il faut gérer après»

Armelle, une autre maman dont l’enfant était aux P’tits Gailhard, relate que « des parents ont cherché leur poussette volée sur Leboncoin. Nous, nous ne l’avons pas retrouvée. Nous en avons racheté une mais pas de la marque Yoyo ». Capucine, se rappelle elle aussi bien de cette journée. Elle est l’une des rares à ne pas avoir été victime. « Ce jour-là, j’étais en retard. J’ai pris mon petit dans les bras en laissant la poussette à la maison… », relate-t-elle.

Paris (XIXe), rue Botzaris, vendredi 21 mai 2021. Capucine (à gauche) a eu de la chance ce jour de juin 2019 quand 17 poussettes ont été volées dans la crèche de son enfant. Elle était en retard et n'avait pas pris sa Yoyo.
Paris (XIXe), rue Botzaris, vendredi 21 mai 2021. Capucine (à gauche) a eu de la chance ce jour de juin 2019 quand 17 poussettes ont été volées dans la crèche de son enfant. Elle était en retard et n'avait pas pris sa Yoyo.  LP/Olivier Arandel

Pour Julia ce vol de juin 2019 s’inscrivait dans une série noire. Déjà en mai 2017, le matin du second tour de la présidentielle, elle ne retrouve plus sa poussette dans le local de son immeuble. Elle était pourtant cadenassée. Elle rachète une Yoyo pour pouvoir la monter dans l’appartement au 5e étage sans ascenseur. Elle sera volée aux P’tits Gailhard.

La troisième poussette de la famille, encore une Yoyo, attachée par deux cadenas dans le local de l’immeuble parce que la famille s’est agrandie, est dérobée. Trop c’est trop. « On a dit stop, continue Julia. Émotionnellement, même pour l’enfant, il faut gérer après. C’est quand même sa poussette. On n’en a pas racheté. »

Vols dans les parties communes des immeubles

Chaque parent a ainsi une anecdote, un conseil qu’on lui a donné. C’est le cas d’Arnaud qui vit lui aussi dans le XIXe arrondissement, heureux propriétaire d’une Bugaboo, autre marque prisée à Paris, croisé dans le parc des Buttes-Chaumont : « Nous avons tout de suite acheté un antivol. Il y a beaucoup d’histoires ici. Je suis prudent mais je n’aurais jamais pensé devoir antivoler une poussette. »

Paris (XIXe), parc des Buttes-Chaumont, vendredi 21 mai 2021. Arnaud n'aurait jamais pensé devoir cadenasser avec un antivol la Bugaboo de son enfant.
Paris (XIXe), parc des Buttes-Chaumont, vendredi 21 mai 2021. Arnaud n'aurait jamais pensé devoir cadenasser avec un antivol la Bugaboo de son enfant.  LP/Olivier Arandel

Mêmes précautions pour Caroline, maman d’une petite fille de tout juste deux mois. « Nous avons vu sur un groupe Facebook qu’il y avait des vols dans le XIXe. Nous avons fait installer dans le local à vélo de notre immeuble un anneau pour pouvoir l’accrocher facilement. Il y en a pour 1 000 euros de poussette, ce serait dommage de se la faire voler. »

Car les vols n’ont pas exclusivement lieu dans les crèches. Lorsque les poussettes ne peuvent pas être stockées dans des appartements parfois trop petits, elles stationnent dans les parties communes et peuvent rapidement disparaître. C’est ce qui est arrivé à des habitants du Square du Tarn (XVIIe) en novembre 2020 et qui les a poussés à monter une milice pour se substituer à la police. Les forfaits ont aussi lieu devant les commerces n’acceptant pas les clients avec poussette.

Un réseau démantelé en 2016

Brice, un papa, a entendu parler d’un mode opératoire surprenant de vol extrêmement rapide devant des boutiques, avec des délinquants arrivant à scooter. Une technique qui n’est pas pour l’heure remontée jusqu’aux services de police.

Autre façon de faire à Argenteuil (Val-d’Oise) le jour de la rentrée scolaire 2019. Un père de famille s’est fait dérober sa poussette alors qu’il déposait son enfant de 4 ans à l’école maternelle Paul-Vaillant-Couturier. Il avait son autre fils de 10 mois dans les bras et quelques instants d’inattention ont suffi. Sa Yoyo avait disparu.

Des mesures de vigilance renforcées

Contactés, les services de la Ville de Paris disent qu’ils « n’ont pas connaissance d’une recrudescence des vols de poussette. Les mesures de vigilance ont été renforcées : les entrées des crèches sont surveillées, les locaux à poussettes et bâtiments sont sécurisés et équipés de visiophones. Des affiches sont posées aux entrées des bâtiments et des locaux. Les services de la ville signalent systématiquement les éventuelles intrusions aux autorités de police qui démantèlent régulièrement des réseaux. Les parents sont invités à porter plainte. »

Les policiers du commissariat des Ve et VIe arrondissement de Paris ont pris la mesure du phénomène en 2016 au cours d’une enquête peu commune initiée après des vols en cascade de poussettes valant entre 350 et 700 euros dans des crèches parisiennes et dans des communes voisines. À la tête de ce réseau, une femme, donneuse d’ordre et six exécutants, notamment issus de la communauté des gens du voyage, basés dans les Hauts-de-Seine et en Essonne qui, entre août 2015 et mai 2016, avaient volé pas moins de 160 poussettes.

 
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité