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Résistances et Libertés
4 juin 2021

Affaire Mila : «Il est temps que la peur change de camp»

En présence de Mila et d’une dizaine de prévenus, poursuivis pour harcèlement ou menace de mort, l’audience du jour a été réservée à l’exposé des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Me Juan Branco, l’un des avocats de la défense

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Elle s’est présentée ce jeudi vers 13 heures au 2e étage du tribunal judiciaire de Paris avec la ferme intention d’être la plus visible possible. À visage découvert, sans masque, chevelure blonde « half-shaved », Mila porte un chemisier rouge vif et dans ses yeux bleus comme un air de défi. Assise au premier rang de la salle d’audience de la 10e chambre du tribunal correctionnel, protégée par au moins cinq policiers chargés de sa sécurité et entourée de ses avocats Mes Richard Malka et Lorraine Gay, la jeune fille, tout juste 18 ans, se retourne et semble jauger les prévenus. Eux plongent le regard vers leurs chaussures.

Jusqu’à présent, ces garçons et ces filles âgés de 18 à 30 ans n’étaient que des internautes protégés par le relatif anonymat offert par Twitter. Les voilà plongés dans l’arène d’une audience très médiatique suivie par une vingtaine de journalistes et un public arrivé en masse. Parmi les treize personnes poursuivies pour harcèlement et/ou menaces de mort aux dépens de Mila, une petite dizaine d’entre eux se sont présentées à l’audience. Il y a notamment Axel, 19 ans, originaire de la région toulousaine. Le 15 novembre, il visionne une vidéo TikTok dans laquelle Mila déclare : « Surveillez votre pote Allah. Parce que mes doigts dans son trou du cul, je ne les ai toujours pas sortis ». Une manière de revendiquer son droit au blasphème et une référence à sa première sortie sur Instagram en janvier dernier dans laquelle elle s’est déjà livrée à des propos vulgaires à l’encontre du Coran.

Des commentaires graveleux et violents

Pour Axel, cette deuxième couche est celle de trop. « La Mila, elle continuera jusqu’à ce quelqu’un la trouve et la crève, c’est tout ce qu’elle mérite. #FuckMila », écrit-il. Le même jour, Mehdi, 18 ans, originaire de région parisienne se montre encore plus explicite dans ses menaces de mort à l’encontre de cette jeune fille, déjà devenue une personnalité publique depuis le début d’année. « Kalach, Famas, 9 mm, Uzi… Les armes sont payantes mais les rafales sont gratuites… », lâche-t-il à partir de son compte Twitter.

Sans lien personnel, ni sur les réseaux sociaux ni dans la vraie vie, avec les deux autres prévenus, une femme s’engage même, toujours dans cette période de la mi-novembre, dans un descriptif du crime qu’elle menace de commettre. « Je me ferai un plaisir de te lacérer le corps avec mon plus beau couteau et de laisser pourrir ton corps dans un bois », écrit-elle à l’attention de Mila.

D’autres commentaires se font plus graveleux que violents sans constituer des menaces de mort. « Parmi la centaine de milliers de messages haineux, les enquêteurs et le parquet semblent avoir lancé leurs filets et pris au hasard une dizaine de personnes pour faire masse », grince Me Gérard Chemla, l’avocat de Corentin, un Rémois de 23 ans, auteur de propos insultants et plutôt cocasses dans le contexte. « Qu’elle nique sa mère la Mila… Je ne risque pas de poursuites, je suis blanc mais pas croyant, on est ensemble mes frères. »

« Plus nombreux on sera à l’ouvrir, plus on sera forts »

Après avoir évoqué l’ensemble des faits reprochés aux treize prévenus, vient alors le moment de l’exposé des requêtes en nullité soulevées par plusieurs avocats de la défense. Sans succès. Deux jours après avoir été entendu en garde à vue pour répondre d’une accusation de viol, Juan Branco, avocat de l’un des jeunes prévenus, se lance ensuite dans une double question prioritaire de constitutionnalité (QPC), étape préalable aux débats sur les faits poursuivis.

« Cette affaire grave a été instrumentalisée par le gouvernement et le parquet avec l’aide de certains médias », avance-t-il. Sur le fond, Me Branco vise la loi Schiappa du 3 août 2018 qui, au nom de la lutte contre « les raids numériques », permet de condamner pour harcèlement l’auteur de messages sur les réseaux sociaux, même si un seul message pose problème. Une manière artificielle, selon lui, « d’agglomérer les comportements de personnes ayant agi de manière non concertée et sans dessein commun » alors que le délit de harcèlement supposerait l’existence d’une répétition.

Autant d’arguments balayés par les avocats de Mila, Me Gay comparant l’exposé de son confrère Branco à « une bouillie juridique ». Après plus de deux heures de débat sur cette question précise, le président décide toutefois de mettre sa décision de transmettre cette QPC à la Cour de cassation en délibéré. Dans l’éventualité d’une réponse négative, l’audience sur le fond pourrait alors se tenir les 21 et 22 juin. Sans avoir eu l’occasion de s’exprimer devant le tribunal, Mila quitte la salle d’audience, toujours sous très bonne escorte policière. « C’est pour cela qu’on est là aujourd’hui, souffle la jeune fille face à un mur de micros et de caméras. Il est temps de le réaliser, de le dire : la peur change de camp. Plus nombreux on sera à l’ouvrir, plus on sera forts, puissants face à la menace et au harcèlement qui ne fera qu’empirer si on reste sans rien faire, si on continue à se soumettre ».

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