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Résistances et Libertés
10 mars 2021

Mis en examen et sous pression, Dominique Boutonnat, patron du CNC, reste soutenu par l’Élysée

Plusieurs organisations du cinéma demandent le retrait de Dominique Boutonnat, le président du CNC, mis en examen pour agression sexuelle. Mais l’intéressé, qui nie ces accusations, reste à son poste. Avec le soutien du ministère de la Culture et de l’Elysée.

dominique Boutonnat

Le protocole sanitaire a parfois bon dos. Ce vendredi 12 mars, l'Olympia n'accueillera pour les Césars que les techniciens qui fabriquent l'émission, les nommés et ceux qui remettent les trophées. Aucun autre invité ne pourra assister à cette 46e cérémonie. Conformément à ce protocole, le président du CNC (Centre national du cinéma), Dominique Boutonnat, 51 ans, ne sera pas dans la salle. Sans aucun lien avec sa mise en examen pour agression sexuelle et tentative de viol après les accusations de son filleul de 22 ans… Officiellement, au moins. « Il n'y a de place dans la salle que pour les 150 nommés », martèle l'Académie.

Et Roselyne Bachelot? La ministre de la Culture, elle, est la bienvenue. D'ailleurs, son entourage assurait ce lundi ne pas savoir « encore » si elle se rendrait à l'Olympia. « On ne peut pas refuser à la ministre de passer, mais elle ne sera pas assise dans la salle », assure l'Académie… Quoi qu'il en soit, le Covid épargne un débat épineux à une nouvelle Académie des Césars soucieuse d'apaisement. La présence de Dominique Boutonnat aurait immanquablement suscité une polémique, surtout depuis que le trophée qui lui a été remis jeudi dernier a échauffé quelques esprits.

Ce 4 mars, « Le Film Français », hebdomadaire de référence des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, a en effet donné au président du CNC le « trophée d'honneur 2021 ». Une récompense qui a provoqué le départ de la cérémonie de la réalisatrice Céline Sciamma, dont le film « Portrait de la jeune fille en feu » avec Adèle Haenel a aussi reçu un prix. Et des commentaires acerbes sur Twitter… Le trophée d'honneur n'était pas destiné à Dominique Boutonnat personnellement, mais au CNC, pour « souligner le rôle crucial de cette institution dans l'écosystème et la gestion de la crise sanitaire », nous indique Laurent Cotillon, le directeur exécutif du « Film Français ».

Dix organisations ont demandé à l'Elysée son retrait temporaire

Décidé en décembre par la rédaction du magazine, soit deux mois avant la mise en examen de Boutonnat le 11 février, « le choix de remettre le trophée à l'institution CNC et ses équipes n'a fait l'objet d'aucune remise en cause ou incompréhension », précise Laurent Cotillon. Qui ajoute : « Dominique Boutonnat étant le représentant légal, en fonction, du CNC, il ne nous appartenait pas, au-delà même de la présomption d'innocence, de refuser sa venue ». Dans un mail interne, Boutonnat a joué la carte du collectif : « Ce trophée est le vôtre », a-t-il écrit à ses collaborateurs le 5 mars.

Mais dans l'industrie du cinéma, le maintien de Dominique Boutonnat est de plus en plus contesté. Le collectif 50/50, qui œuvre à la parité, l'égalité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel, a demandé dans un communiqué le retrait du président du CNC dès l'annonce de sa garde à vue, le 10 février. Il a été suivi par la Société des Réalisateurs Français, le Syndicat des Producteurs Indépendants et la CGT-Spectacle. Le 26 février, dix organisations du cinéma ont même écrit au président de la République, qui a nommé Boutonnat en juillet 2019, pour lui demander la mise en retrait temporaire de Boutonnat, arguant d'un « besoin d'une gouvernance refondée et relégitimée ».

Ces textes se sont traduits par la perturbation d'une réunion stratégique le 4 mars. Quelques heures avant qu'il ne reçoive le trophée d'honneur du « Film Français », Dominique Boutonnat réunissait environ quatre-vingts représentants d'organisations du cinéma pour parler du financement des films. La Société des Réalisateurs Français et la société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs ont boycotté l'événement, tandis que le Syndicat des Producteurs Indépendants a choisi d'être représenté non pas par son président, mais par son délégué général Olivier Zegna-Rata.

Quitter le poste serait un « aveu de culpabilité »

« Il ne s'agit pas de condamner d'avance le président du CNC, justifie ce dernier. Mais au moment où l'institution est engagée dans des discussions lourdes d'enjeux avec les plates-formes et les majors américaines, au moment où le cinéma souffre de la crise sanitaire, nous estimons qu'elle ne peut pas être dirigée par un interlocuteur rendu vulnérable par sa situation judiciaire. » Ce point de vue n'est pas unanime dans l'industrie du cinéma : ni la très puissante Fédération Nationale des Cinémas Français, qui regroupe les exploitants, ni la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) n'ont demandé le retrait de Boutonnat.

« Le maintien du président du CNC est un problème qui relève de son employeur - l'État - ou de lui-même, juge Pascal Rogard, directeur général de la SACD. En demandant sa mise en retrait, les organisations affaiblissent le cinéma français, déjà en grande difficulté. Et elles oublient que c'est grâce à Dominique Boutonnat, qui s'est battu pour mettre en place un fonds d'indemnisation contre le risque de Covid, que les tournages peuvent continuer en France … »

De son côté, le patron du CNC reste à son poste. Dans les jours qui ont suivi sa mise en examen, il a envoyé un mail à ses équipes pour contester les accusations qui pèsent sur lui et rappeler que celles-ci n'ont « aucun lien » avec ses fonctions, qu'il continuera à exercer « avec la plus grande détermination ». En privé, il clame aussi son innocence et aurait confié à un proche que quitter son poste serait un « aveu de culpabilité ». Boutonnat a été publiquement soutenu par Roselyne Bachelot le 15 février : sur LCI, la ministre a assuré que ce n'était pas à elle de sanctionner « quelqu'un réputé innocent » : « C'est à lui de voir s'il peut exercer en toute sérénité son mandat, il en jugera et il décidera ».

Ce lundi, l'entourage de Bachelot nous assurait que la ministre « demeur (ait) sur sa position : autant profondément attachée au respect et à l'accueil de la parole des victimes qu'à la présomption d'innocence ». Selon nos informations, l'Elysée n'envisage pas pour l'instant de mise en retrait de Dominique Boutonnat. Vendredi soir, devant les Césars, la grande famille du cinéma guettera en tout cas dans les discours toute allusion à la situation délicate du patron du CNC...

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